LA DISPARITION D'ESPECES ENDEMIQUES SUR LE TERRITOIRE
Bonjour à tous,
Vous
trouverez ci-après une partie de la lettre ouverte que Bertrand RICHER DE
FORGES vient d'adresser au Directeur de l'IRD Nouvelle-Calédonie : une
alerte d'un scientifique de renommée mondiale sur les risques de
disparition d'espèces en Nouvelle-Calédonie.
Préambule :
La Nouvelle-Calédonie est constituée en grande partie de terrains latéritiques riches en métaux. Ces sols très particuliers ont permis l’apparition au cours de l’évolution d’espèces extraordinaires de plantes et d’animaux et l’île possède une biodiversité exceptionnelle reconnue au niveau international, avec une très forte richesse spécifique et la présence de nombreux groupes reliques, témoins d’une histoire évolutive et patrimoine de l’humanité. Une abondante littérature scientifique le démontre clairement. Dans cette petite île, riche en métaux une vaste exploitation minière a, dès la fin du 19ème siècle, par ses prospections et ses exploitations « sauvages », littéralement ravagé les paysages et la biodiversité. Les millions de m3de rejets stériles ont été tout simplement repoussés dans les pentes où ils ont propagé la destruction de la biodiversité bien au-delà des périmètres miniers proprement dits. La tendance internationale était alors de faire dans les colonies ce que l’on aurait jamais permis en Europe. Avec seulement quelques décennies de retard, la Nouvelle-Calédonie commença à réglementer un peu l’exploitation des ressources minières et forestières dans le dernier quart du 20ème siècle…Il était déjà bien tard et la biodiversité avait considérablement régressé.L’originalité de la Nouvelle-Calédonie sur le plan biologique est apparue dés les premières études. Il y avait là des milliers d’espèces de plantes endémiques à près de 90%. Imaginez une forêt de Nouvelle-Calédonie, fermez les yeux et attrapez une plante au hasard…vous avez 9 chances sur 10 qu’elle n’existe pas ailleurs dans le monde ! A ces végétations originales et riches sont associées des cortèges de milliers d’espèces d’invertébrés, encore peu étudiés, mais tout aussi endémiques. Les vertébrés sont moins nombreux et plus discrets, mais beaucoup ont une importance évolutive considérable. Leur isolement et des contraintes environnementales peu communes ont conduit à des radiations spécifiques originales : comme aux îles Galapagos, ce sont les « reptiles » qui dominent avec 85 espèces de lézards dont 83,5% sont endémiques à la Nouvelle-Calédonie.
Les superficies exploitées par les mines
passées, actuelles et futures :
Bien qu’il
soit tout à fait évident et incontestable que les développements miniers ont
été, et sont encore les principales causes de perturbations majeures de
l’environnement, personne ne fait d’étude sérieuse à ce sujet en
Nouvelle-Calédonie. Il y a une sorte de consensus entre les mineurs, les
pouvoirs publics et les organismes de recherche pour ne pas mettre en évidence
cette « vérité qui dérange » ! Il semble ainsi qu’il n’existe
aucun document cartographique disponible pour évaluer les superficies minières
passées, présentes et futures ? Les prospections minières se sont faites
tous azimuts, laissant des cicatrices profondes et durables. Ces pénétrations
humaines dans une végétation primaire endémique ont été catastrophiques pour la
biodiversité et de nombreux départs de feux sont encore une conséquence
indirecte de ces prospections minières. Ces deux perturbations majeures à
l’environnement sont donc étroitement corrélées.
Une véritable
étude objective, menée par des géographes associés à des géologues et des
naturalistes permettrait d’obtenir un état des lieux et de mieux gérer les
lambeaux de couvert végétal qui ont subsisté.
Les risques d’extinction d’espèces :
Les botanistes
qui ont étudié la flore de Nouvelle-Calédonie soulignent sa richesse spécifique
et son endémisme extraordinaire (Jaffré et
al., 2004). Pour n’en citer que quelques unes : la célèbre Amborella, la plus archaïque de toutes les plantes à fleurs, est
encore abondante dans des zones très restreintes du centre de l’île ; 7%
des espèces de conifères de la planète, dont la seule espèce parasite du monde
(Parasitaxus ustus) ; le
bois-bouchon (Decussocarpus minor)…
Beaucoup de
ces espèces ne sont connues que de quelques spécimens et leurs aires de
répartition sont minuscules. Si l’on pouvait appliquer en Nouvelle-Calédonie les
critères de l’IUCN, l’ensemble de la flore (plus de 2200 espèces) et de la
faune endémique devrait figurer sur la liste rouge des espèces menacées, au
seul titre de leurs répartitions restreintes.
Parmi les
menaces sur la biodiversité, les plus importantes sont, par ordre décroissant,
la mine, le feu et les espèces introduites. Ces dernières ont eu droit en 2006
à une commission d’experts pour en évaluer le nombre, les effets destructeurs
et essayer de prévoir l’évolution des écosystèmes déjà « infestés »
(Beauvais et al., 2007). Ces experts
ont d’ailleurs bien mis en évidence l’augmentation probable des introductions
d’espèces liées directement aux nouveaux développement miniers (par exemple
transportées avec le charbon pour la centrale thermique du sud ou avec le
calcaire importé pour neutraliser les boues acides du procédé d’extraction des
métaux par lixiviation). Il existe déjà en Nouvelle-Calédonie 1600 espèces de
plantes introduites, dont certaines sont des pestes envahissantes.
Sur les terrains latéritiques 250 espèces
de plantes au moins, strictement inféodées à ces terrains, sont gravement menacées d’extinction du fait
des activités minières (Jaffré, 2003). 2137 espèces de plantes sont
actuellement recensées des maquis miniers et des forêts sur roches
ultramafiques, soit 65 % de la flore de Nouvelle-Calédonie. 81.4% de ces
espèces sont endémiques en Nouvelle-Calédonie et 47.2% le sont à ce type de
sols, parmi lesquelles 27 espèces de conifères. Sur les 104 genres de plantes
endémiques de Nouvelle-Calédonie, 37 genres le sont des terrains latéritiques.
On sait par ailleurs, que chaque espèce de plante abrite plusieurs
espèces d’insectes et certainement plusieurs autres groupes zoologiques qui lui
sont strictement associés. Il est donc prévisible que la disparition du couvert
végétal entraîne l’extinction de plusieurs centaines d’espèces endémiques.
Conclusions et éthique du
développement :
L’expression
« développement durable » est devenue omniprésente de nos jours. Il
s’agit d’un concept formulé par la Commission
Brundtland en 1987, préconisant « une
utilisation rationnelle des ressources de façon à ne pas compromettre leur
utilisation par les générations humaines futures». Il est clair que la
biodiversité est une des ressources majeures de l’humanité et qu’elle doit être
au maximum préservée. Ce n’est malheureusement pas du tout ce que l’on observe
en Nouvelle-Calédonie où, malgré les avis bien étayés des biologistes, on
continue à privilégier un développement minier très destructeur en vue d’un
profit immédiat. On dit souvent « gouverner c’est prévoir »…Il semble
que nos gouvernants n’aient pas pris en compte dans leurs prévisions les
conséquences irrémédiables pour la biodiversité : l’extinction de
centaines d’espèces. Il faut absolument informer le public de ce risque authentique et irréversible. Si, une
fois informé, on décide de continuer et de sacrifier ces espèces,
alors…l’histoire jugera. Il semble toutefois incohérent pour l’IRD de
soutenir d’une part une vaste opération
internationale d’étude de la biodiversité à Vanuatu en 2006 et d’ignorer la
destruction d’une biodiversité encore plus grande en Nouvelle-Calédonie ?
Il est impératif et urgent pour notre Institut de faire
intervenir sur le thème des « risques d’extinction d’espèces » un
groupe d’experts internationaux indépendants.
Extinction is forever ! C’est vraiment la seule chose
durable de prévisible dans ce type de développement.